Lu sur le site du NouvelObs
Le blog de Serge Portelli, magistrat et vice-président du Tribunal de Paris
L'extrême-droite comme si vous y étiez
Que le combat pour la démocratie passe d’abord par les mots; qu’il
faille, inlassablement, mener cette lutte, dérisoire, dirait-on, pour
conserver son sens au langage que nous partageons et leur réalité à ces
valeurs que nous défendons: les jours sombres que nous traversons et
qui nous attendent nous rappellent à ce devoir essentiel. Avant de
brûler les livres on commence toujours par brûler les mots. *
Le
sarkozysme n’est pas la droite classique. L’idéologie qui l’anime n’est
pas celle que nous connaissions. Le discours qu’il développe n’est en
rien celui que nous entendions, avec tant de variantes pourtant, de De
Gaulle à Chirac, en passant par Pompidou ou Giscard d’Estaing. Le
vocabulaire qu’il utilise - avec soin - n’est pas celui de la droite
républicaine. Son dictionnaire ordinaire emprunte de plus en plus au
langage de l’extrême droite et ce langage - qui s’impose insidieusement
grâce à l’empire et l’emprise médiatique du système - nous habitue
progressivement au pire.
Même si les livres d’histoire et de
sciences politiques ne le présente pas ainsi, l’un des actes fondateurs
de notre démocratie est, en 1981, la suppression de la peine de mort.
Nous avons abandonné pour de bon l’un des derniers oripeaux de la
barbarie. Dans sa course éperdue à l’électorat et aux idées lepénistes,
Nicolas Sarkozy n’arrête pas de tutoyer cette peine de mort et de jouer
avec cette abolition fondatrice. Dans la stratégie ordinaire du
discours paradoxal, tout est dit pour nous rapprocher de l’idée que
cette peine est envisageable, quitte au dernier moment à se draper
vertueusement dans un discours abolitionniste auquel plus personne ne
croit. L’utilisation permanente du mot “monstre” pour désigner les
auteurs des crimes les plus graves fait partie de cette dérive perverse
du vocabulaire. On exclut ainsi ces hommes de l’humanité ordinaire:
inutile de chercher à les ramener un jour parmi nous - ce qui, au-delà
de la nécessaire sanction, est la mission première de la justice -,
nous sommes dans la logique de l’élimination. Dire d’un homme qu’il est
un “monstre”, c’est tuer l’homme en lui.
Le traitement de la
délinquance sexuelle offre à présent l’occasion d’une nouvelle et très
grave dérive. Là aussi, tout commence par les mots. Il existe, parmi
toutes les possibilités de traitement de cette criminalité, une option
médicale à base de traitement hormonal. Un médecin, peut, dans certains
cas bien précis et avec un luxe de précaution - notamment dans le
respect absolu du secret médical - le prescrire avec l’accord du
patient. Que le patient soit un condamné ne change rien à ces
principes. Nicolas Sarkozy se bat depuis des années - bien avant d’être
nommé président de la République - pour que ce traitement soit imposé
de force à ceux que l’on nomme les délinquants sexuels. Il a été
puissamment aidé par ces termes, employés à dessein, de “castration
chimique”. Ces mots sont faux. Le traitement est évidemment réversible.
Mais le mot “castration” permet de faire le lien immédiat avec la
castration dans son sens propre, à savoir l’ablation physique. À la
répéter inlassablement, l’idée germe insensiblement qu’une atteinte
physique est possible. Et tous ceux qui, en public, essaient de
rectifier cette dénomination impropre et dangereuses passent pour des
puristes inconséquents. Il n’a pas fallu longtemps pour que Michel
Alliot-Marie, le nouveau garde des sceaux, franchisse le pas et évoque
franchement la castration physique. “Pour l’instant, reconnaît-elle, la
castration physique est interdite en France, mais elle existe ailleurs.
Je pense que cela mérite une analyse et qu’aujourd’hui la question de
la castration physique peut se poser et être débattue, y compris au
Parlement”. Combien de dizaines de milliers de bulletins de vote
seront-ils gagnés par ces propos qui donnent la nausée? Dans ce
concours d’inhumanité, quelle sera la prochaine idée qui permettrait de
satisfaire nos pulsions primaires de vengeance et de mort? Non,
rassurez-vous, la peine de mort n’est pas encore là. Pas tout à fait.
Nous aurons droit à des dénégations indignées - mais brèves - pour
tenter de gagner sur tous les tableaux. Mais l’essentiel est là: l’idée
que l’on peut toucher au corps du condamné. Que l’on peut le punir dans
sa chair. Qu’il doit expier physiquement. Un germe malsain de plus est
déposé dans notre démocratie. Il produira ses effets plus tard, si nous
ne réagissons pas vigoureusement en refusant avec la dernière vigueur
toute idée de “castration”, en dénonçant le subterfuge des mots et
cette noire démagogie.
Eric Besson, lui, avec le zèle touchant
des ultimes convertis, tentant de faire oublier ses anciennes et
virulentes dénonciations du sarkozysme, avoue sans pudeur qu’en
exécution des consignes du président de la République, il cherche à
récupérer les voix de l’extrême-droite. Il veut, dit-il, “la mort” du
Front National. La paradoxe est que cet homme qui se disait de gauche
et se dit à présent de droite, patauge dorénavant non seulement dans
les idées mais les pratiques de l’extrême droite. Enfermer des enfants
dans des centres de rétention, expulser des jeunes scolarisés, détruire
des familles, faire vivre dans l’angoisse des dizaines de milliers
d’hommes, de femmes, d’enfants, simplement “coupables” de n’avoir pas
de papiers, mobiliser en permanence et pervertir l’appareil d’Etat dans
des tâches purement électoralistes, renvoyer des étrangers par charters
dans des pays en guerre.... voici la réalité de cette politique
nauséabonde. Utiliser la souffrance d’êtres humains pour asseoir son
pouvoir aujourd’hui et le conserver demain. Dévoyer les valeurs de la
République pour fortifier un clan. Mais il faut, là encore, tordre le
cou aux mots pour légitimer ce combat déloyal. L’appellation de ce
ministère d’ identité nationale est une honte permanente, une opération
de grossière propagande qu’il nous faut dénoncer chaque jour. Sans que
jamais ne s’installe le renoncement. La dernière trouvaille est
d’engager un vaste débat sur ce qu’est l’identité nationale. Les
préfets, qui ont pourtant d’autres chats à fouetter, vont être requis
pour cette opération de campagne électorale. Il n’est d’autre réponse
que de refuser catégoriquement cette dérisoire opération de marketing
politique, refuser le piège de ces mots détournés.
Le plus
triste est qu’Eric Besson lui-même avait, il y a si peu de temps, en
janvier 2007, parfaitement analysé cette imposture qu’il met
aujourd’hui en oeuvre. Son livre, “Les inquiétantes ruptures de M.
Sarkozy”, était, et reste, une des meilleures descriptions de ce qu’est
le sarkozysme. Disséquant le nouveau nationalisme prôné par son
adversaire de l’époque, il écrivait: “En fait, sous la fausse bonne
idée (reprendre les voix du Front National), les propos de Nicolas
Sarkozy renvoient à une période que l’on croyait révolue, celle où la
droite républicaine n’était pas au clair avec l’extrême droite”.
Eric
Besson veut un débat où l’on ne se paye pas de mots? Qu’il commence par
s’y inviter lui-même, qu’il nous explique et nous commente ces pages
lumineuses où il dénonçait un populisme inquiétant qui flatte le peuple
et attise ses peurs en dérivant chaque jour un peu plus vers la droite
extrême. Ou si cette image lui fait trop honte, qu’il parle réellement
de ce qu’est et sera l’immigration. Qu’il parte par exemple du rapport
2009 du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui
vient d’être publié: "Lever les barrières : mobilité et développement
humains". Qu’il explique à l’opinion publique que l’immigration profite
non seulement au migrant, mais aussi aux pays de départ et d'accueil.
Ou qu’il évoque les migrations climatiques qui vont radicalement
changer la donne de tous ces problèmes. Ou qu’il parle honnêtement de
sa politique en matière d’asile en expliquant que les chiffres qu’il
avance pour vanter la générosité de la France ne sont pas de son fait:
ils résultent de la jurisprudence des juges de cour nationale du droit
d’asile. Chaque année, infirmant les décisions de l’OFPRA, ces juges
courageux et consciencieux accordent, à eux seuls, plus d’asiles que
l’administration!
Cessons de mêler le mot “France”, les couleurs
du drapeau ou le chant d’un hymne de liberté, à ce qui fait chaque jour
notre honte et notre souffrance. Si débat il doit y avoir, qu’il soit
sur les valeurs de notre démocratie, sur le glissement progressif vers
un Etat-limite dans lequel l’appareil d’Etat est mis au service d’une
idéologie mortelle pour nos libertés.